21 février 2012

S'IL VOUS PLAÎT, VENEZ EN TERRE SAINTE !


En Terre Sainte, on peut se vanter de la présence d’une famille très spéciale, la Sainte Famille de Nazareth. Pour nous chrétiens, c’est une expérience très forte d’être là où Jésus est né et a grandi en tant qu’homme, où il a vécu et enseigné, où il a été crucifié et enseveli, et où il est ressuscité d’entre les morts. C’est pour cela que l’Eglise de Terre Sainte est l’Eglise-Mère, composée encore aujourd’hui des descendants de la première communauté fondée par Jésus-Christ lui-même. Elle est la mémoire vivante collective de Jésus, de Marie, des Apôtres et de l’Église primitive. C’est un trésor précieux pour toute l’Eglise universelle. C’est une Eglise locale qui conserve la foi et les Lieux Saints, et les présente aux pèlerins de tous les pays et de toutes les époques. C’est une Église qui vit une expérience unique dans l’Histoire et qui doit s’ouvrir un chemin de vie complètement nouveau : l’appartenance au monde arabe, au sein de la nombreuse minorité musulmane, au cœur de l’État d’Israël constitué dans sa grande majorité de Juifs.
Mais en même temps, notre cœur est triste car, dans cette terre de Jésus, se déroule un conflit géopolitique dans lequel nous sommes tous impliqués, l’interminable conflit israélo-palestinien. 2010 ans après la naissance du christianisme,
62 ans après la fondation de l’Etat d’Israël, la situation reste très difficile, surtout pour les habitants de la Terre Sainte, appartenant à deux peuples et trois religions. Nous pensons aux injustices dont souffrent principalement les Arabes palestiniens : les humiliations quotidiennes, les restrictions de sortie du pays, de circulation, des possibilités d’étudier, de travailler, le manque de soins médicaux ; nous pensons au mur de séparation, long de plus de 700 km et haut d’environ 8 m, qui isole de fait les populations locales. Les Chrétiens palestiniens n’ont même pas accès aux Lieux Saints, car il est très difficile d’obtenir des autorisations pour raisons de sécurité.
Nous, chrétiens de Terre Sainte, sommes environ 2% de la population totale, presque tous Arabes palestiniens et jordaniens, ainsi qu’un très faible pourcentage d’étrangers et quelques centaines de catholiques d’expression hébraïque. A Jérusalem, malgré le petit nombre de chrétiens, il y a une très grande richesse de rites et de liturgies. Plus d’une centaine de congrégations religieuses sont présentes : contemplatives ou apostoliques, impliquées dans le secteur éducatif et social. L’arrivée de populations chrétiennes immigrées – pour la plupart des ouvriers, petits employés, chargés des soins à la personne –, qui parfois deviennent plus nombreux que les chrétiens locaux, et vivent dans des situations très précaires, sans aucune protection légale, est un phénomène récent.
Je me demande combien de personnes de votre peuple sont venues, à travers l’Histoire, faire un pèlerinage en Terre Sainte ! S’il vous plaît, venez en Terre Sainte pour témoigner de notre communion ecclésiale et prier avec nous pour plus de justice et de paix entre les peuples.
Comme nous le rappelle l’Evangile d’aujourd’hui, le roi Etienne a construit «sa maison sur le roc» (Mt 7, 24), la maison qui n’était pas seulement pour lui mais pour vous tous, pour votre pays et pour les pèlerins de votre terre qui se rendaient en pèlerinage en Terre Sainte : il a eu à cœur leur sécurité et rendit plus sûr leur chemin par les terres balkaniques. Il fit également construire un logement à Jérusalem pour les Hongrois qui s’y rendaient. Bien que cette maison n’existe plus, il est bon de savoir que nombre de vos prédécesseurs y sont allés et y ont séjourné. Cela demeure une invitation pour vous à vous y rendre.
En Terre Sainte, nous connaissons parfois une perte d’espérance. Toute une génération d’Israéliens et de Palestiniens a grandi en assistant et en expérimentant la violence, l’occupation, la séparation et la haine. Il est devenu de plus en plus difficile d’imaginer un avenir de coexistence, il est plus facile de blâmer les autres, et plus difficile de pardonner. Pourtant, nous savons que la seule solution au conflit est celle qui reconnaît la dignité inhérente de toutes les personnes vivant dans ce pays, les Israéliens et les Palestiniens, chrétiens, juifs et musulmans. Tout homme est en effet créé à l’image de Dieu, et en tant que tel, investi d'une dignité absolue. […]
Votre roi, le roi Etienne, se rendit compte de la faiblesse d’un pays avec «une langue et un seul costume» et comprit la nécessité d’accueillir avec bienveillance les étrangers et de leur faire honneur. C’est un signe de noblesse d’esprit et de longueur de vue dont nous avons de plus en plus besoin en Europe et en Terre Sainte, à un moment où l’Eglise catholique connaît une dimension universelle, œcuménique et interreligieuse. Canonisé en 2000 également par l’Eglise orthodoxe, Saint-Etienne est une lumière sur le chemin œcuménique, que nous sommes engagés à emprunter en Terre Sainte. […]
Les épreuves et les souffrances n’ont pas été épargnées à Saint Etienne : outre une douloureuse maladie, il y eu aussi la mort précoce de ses enfants. Il ne pouvait assurer sa descendance, mais même cette épreuve n’entama pas sa confiance en Dieu, il garda intacte sa foi dans le Seigneur. L’Eglise-mère de Jérusalem est en train de vivre une épreuve similaire, alors que l’avenir qui se profile s’annonce presque sans descendance. Beaucoup de Chrétiens, généralement les plus jeunes et les mieux préparés, quittent le pays, et émigrent à la recherche d’un avenir plus sûr et plus humain. C’est un phénomène très inquiétant, qui affaiblit notre communauté chrétienne, déjà peu nombreuse. Nous sommes conscients d’être «l’Eglise du Calvaire», du refus, du «petit troupeau», mais en même temps aussi l’Église de la Résurrection, de la rencontre, de la communion possible. C’est notre vocation et notre espérance. Notre avenir est entre les mains de Dieu. C’est pour cela que nous n’avons pas peur, malgré les épreuves, parce que notre espérance n’est pas fondée sur des certitudes humaines, mais sur la Parole de Dieu. Le Seigneur nous a promis: « Je suis avec vous pour toujours, jusqu’à la fin du monde » (Matthieu 28, 20).
Etienne a terminé sa parabole terrestre le 15 août, le jour de l’Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie, confiant également en cette occasion lui-même, sa famille, tout le peuple, les générations futures, à la protection de la Sainte Mère de Dieu. Unissons-nous, aujourd’hui, nous aussi, et adressons une semblable prière à Saint Etienne, à toute sa bienheureuse famille et à la Sainte Famille de Nazareth, afin que par leur intercession descende sur nous tous, nos peuples, nos terres, et tous ceux qui souffrent ou sont dans l’épreuve, le don de la paix, de la réconciliation et de l’espérance, et qu’au terme de cette vie terrestre, nous obtenions la vie éternelle auprès de Dieu.
Saint Étienne, priez pour ce pays qui est le vôtre et pour toute l’Europe. Amen !

†  Fouad Twal, Patriarche
mardi 10 août 2010, en la solennité de saint Etienne de Hongrie, à Budapest.

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